Mieux vaut en rire, 7 avril 2020

7 avril
Aujourd’hui je suis allé chez mon psychanalyste non sans avoir fait le transfert de son canapé au mien, d’ailleurs plus confortable. Et je lui ai raconté le rêve que j’avais fait cette nuit.
Partout, dans le monde entier, répondant au vieux mot d’ordre oublié, désuet, éculé « prolétaires de tous les pays, unissez-vous » les peuples s’étaient soulevés et avaient chassé leurs gouvernements despotiques, aristocratiques, oligarchiques qu’ils avaient confiné dans d’inutiles parcs d’attraction.
Et, un parlement d’un nouveau genre, un parlement d’écrivains avait pris en main les destinées du monde. Puisqu’ils avaient su construire dans leurs œuvres des univers cohérents ils devraient bien être capables de passer de la fiction à la réalité.
Je les voyais sur mon écran car ils étaient réunis en visioconférence, ouverte au public, raisonner ensemble et proposer des solutions constructives, équitables. Je ne les connaissais pas tous, ma culture n’étant pas si étendue, mais je suis tout de même parvenu à mettre un nom sur quelques visages. Il y avait là, par exemple, l’américain Douglas Kennedy, l’indienne Arundhati Roy, l’italien Erri de Luca, la française Annie Ernaux.
Parfois ils tombaient vite d’accord sur un point, parfois le débat était plus long, plus vif même. Mais ils étaient unanimes pour décider que toutes les nations devaient se partager équitablement le fardeau de la crise à la hauteur de leurs moyens, pour déclarer que la santé d’un homme au Bangladesh pesait autant que celle d’un habitant de Manhattan, qu’il fallait coopérer et non se concurrencer pour acheter plus de masques, plus de respirateurs…
J’aurais pu parler de mon rêve encore longtemps si mon psychanalyste ne m’avait signalé que la séance était terminée. Déjà ? Lui si distant à l’accoutumée crut devoir me donner un conseil avant de presser le bouton qui interromprait notre rendez-vous WhatsApp. Surtout, n’allez pas raconter votre rêve à tord et à travers. Avec cette épidémie il ne fait bon d’être interné. A moins que ce soit en chambre capitonnée mais nous n’en sommes pas là. Pas encore.
D’un bond, je sautais du canapé et reprenais les lettres et tribunes qui avaient nourri mon rêve. Si on m’enfermait avec tous ces fous qui les avaient rédigées, je ne serai pas en mauvaise compagnie.
Et je suis parti relire ce que disait hier cette dingue d’indienne :
« La pandémie actuelle est un portail entre le monde d’hier et le prochain. Nous pouvons choisir d’en franchir le seuil en traînant derrière nous les dépouilles de nos préjugés et de notre haine, notre cupidité, nos banques de données et nos idées défuntes, nos rivières mortes et nos ciels enfumés. Ou nous pouvons l’enjamber d’un pas léger, avec un bagage minimal, prêts à imaginer un autre monde. Et prêts à nous battre pour lui ».